
LES BELLES HISTOIRES DE TONTON PICKING
Un cas de figure
Tu commandes une gratte chez un luthier.
Un mec pas encore trop "re-connu".
Tu passes le deal suivant avec le zigue.
Une gratte façon OM avec tous les mêmes bois que chez Martin mais avec une touche de 48 mm et des incrustations "Flocons de neige" dessus. Pour faire "chicos".
Le gaillard te dit, sans rire, qu'il y a un délai de huit mois à un an.
Il te la fait pour 2 000 euros.
Malgré le délai, c'est plutôt sympathique.
Comme convenu, tu verses mille euros à la commande et tu verseras le solde à la reception du "machin".
Le temps passe. Neuf mois et dix huit jours.
Le type t'invite à passer pour essayer la gratte afin de pouvoir procéder aux derniers réglages.
Tu es tout content. Le cerveau en érection tu sautes dans ta bagnolle pour faire les six cent kilomètres qui te sépare de la boutique du mec.
Là, tu rentres avec ce sourire niais et les sourcils en accent circonflexe.
Le luthier te tend la chose.
Tu as le sourire caractéristique du mec crétinisé de plaisir et tu prends le "truc" entre tes mains.
Tu la tournes dans tous les sens.
Tu vois que tout semble parfait.
Tu t'asseois sur le tabouret tourniquet.
Tu poses la gratte sur tes genoux.
Tu fais l'habituel MI majeur.
Put-Hein, elle ne sonne pas !
En tous cas, elle sonne minable à côté de ta guitare de "marque".
En tous cas, la gratte ne sonne pas comme tu en rêvais.
Pour être certain de ne pas déconner dans ta tête, tu fais un RE majeur, un SOL majeur, puis un LA majeur barré.
En SOL tu repères même que la corde de SI n'est pas juste.
Tu n'arrives même pas à l'accorder de manière à ce qu'elle soit juste en DO, en SOL, en FA.
A chaque fois tu dois faire un compromis dans l'accordage de la corde de RE et de la corde de MI.
Pas de basses réelles.
Des médiums un peu "serrés".
Des aigüs rigolos et aigrelets.
Tu n'oses rien dire. Tu as du mal à avaler ta salive.
Tes doigts sont subitement aussi humides que ton nez.
Tu as la tremblote.
Put-Hein, neuf mois et demi d'impatience, de rêve, de projets et d'onanisme pour cette sous-merde ! ! !
Tu le lui dis au mec. D'une voix étranglée que tu tentes de maîtriser.
Le type, toujours sans rire, te rassures en te précisant : < T'inquiètes pas, elle va "s'ouvrir" très vite ! >
Mais toi, t'es pas vraiment convaincu, tu n'es pas le dernier des cons.
Tu regardes bien le gars, dans la pupille noire de ses yeux soudain fuyants.
Finalement, tu commences à la scruter dehors, dedans, sur les côtés.
Tu commences à repérer des petits détails infimes à l'intérieur de la caisse.
Traces de colle, les contres-éclisses qui semblent se débiner un peu dans l'obscurité du fond, la résine noire qui bave un peu beaucoup entre le gros flocon d'abalone et l'ébène de la première case. Il a creusé un peu trop peut-être...
Bref, au bout d'une demi-heure où tu es passé par différents stades mentaux, tu lui dis que tu ne la veux pas comme ça.
Lui, il te dit qu'il n'a pas le temps dans les prochains temps de rebosser dessus. Pas avant cinq ou six mois. Minimum.
Il te dit ça sans rire, avec ce sérieux qui te déstabilise encore un peu plus.
Finalement, au bout de trois quart d'heure, tu refuses la transaction et tu veux récupérer ta mise de départ. Tes put-hein de milles euros !
Le type se met enfin à rire pour te demander si tu es sérieux ou si tu déconnes.
Parce que, en plus, il plaisante à présent, l'enfoiré.
Tu sents tes plombs qui pêtent, un à un. Même la durite vient de lâcher...
Tu lui expliques que tu n'as pas envie de revenir avec deux potes pour lui refaire son atelier et sa gueule.
Il devient antipathique, limite mesquin.
Il voit bien que t'es beaucoup plus balaise que lui et que tu risques fort de t'emporter.
Il voit bien que tu commences à retrouver ce calme inquiétant qui précède les grosses baffes et les torgnolles.
Finalement, il te propose de t'en faire une autre, dans les six mois, avec contrat signé.
Toi, tu ne veux rien savoir et tu lui expliques, une dernière fois, que tu ne sortiras pas sans ton pognon.
Il sent bien, à tes deux mains puissantes qui le tiennent par le col de sa chemise dégueulasse, maintenu sur la pointe de ses pieds, que tu as tout à fait cessé de plaisanter. Tu viens même de quitter le cadre de la négociation.
Finalement il te rend trois cent euros en liquide et te fait un chèque des sept cent autres euros.
Après ces pressions amicales, l'ambiance se récfhauffe quelque peu.
Tu redeviens sympathique car tu n'éxiges pas de pénalités de retards ni remboursement des frais.
Sur la route du retour, tu envisages déjà la guitare de marque que tu vas commander dès demain...

Histoire vraie et vécue
